Un dessin à la fenêtre
Il y a 10 ans exactement était publiée à l'occasion de l'Avent la première page d’un conte urbain déambulatoire dans les rues du Mile-End.
Inspiré par Patsy, celle que tout le monde appelle affectueusement la Fée urbaine, j’ai eu le bonheur d’écrire une histoire en 24 phrases assez courtes pour être lisibles, assez poétiques pour être évocatrices, assez intrigantes pour inciter à poursuivre la suite, assez complètes pour en faire une histoire.
Un jour à la fois, tout au long des 24 jours qui constituent le calendrier de l’Avent, Patsy les a installées aux fenêtres du quartier.
UN DESSIN À LA FENÊTRE
• Elle avait peur du noir. Il avait peur du froid. La nuit venait de tomber du ciel et l’hiver s'agrippait au Mile-End.
• Ils se sont croisés par hasard, comme lorsque le hasard fait bien les choses. Elle était perdue et lui éperdu.
• Il voulait l’aider à trouver son chemin. Elle ne savait pas d’où elle venait, encore moins où elle allait.
• Trottant sur le trottoir, les passants passaient sans les voir. Dans la rue flottait le parfum d’un festin.
• La langue qu’elle parlait ressemblait à une chanson. Il n’avait pas l’oreille musicale, mais il aimait le vin chaud.
• Le vent souffla sur St-Urbain. Une rafale emporta au loin les notes d'une fête oubliée.
• Sur l’emballage en papier brun d’un marchand de bagels, elle se mit à dessiner des escaliers escaladant une maison illuminée
• Il ne savait pas dessiner, mais il avait dans la tête les mots silencieux d’un poème.
• Quand elle eut terminé, elle laissa le dessin s’envoler et s’engouffra dans la ruelle encombrée des souvenirs d’une année qui s’achève.
• Il remonta vite le col de son manteau avant de s’apercevoir qu’elle avait disparu dans le noir.
• Il ramassa le papier qu'elle avait abandonné et éclaira la ruelle avec les fenêtres illuminées du dessin.
• Les murs s’écartèrent pour lui faire de la place. Un chat se glissa entre les planches d’une courette.
• Il voulut l’appeler, mais il ne savait pas comment elle s’appelait. Il laissa échapper un cri qu’il poursuivit en courant.
• Les lumières du dessin commençaient à pâlir et la ruelle commençait à sombrer.
• À l’intersection de Groll, il entendit le grondement d’un torrent sous-terrain qui emportait les restes d’une tempête.
• Les silhouettes des maisons s’étiraient dans le ciel. Aux fenêtres, des éclats de vie. Mais nulle trace d’elle.
• Il secoua le dessin pour réanimer les lumières. Quelques flocons commençaient à danser entre les triplex abritant tant de destins.
• Le sol était devenu une page blanche sur laquelle les pas de l’inconnue avaient écrit une histoire.
• Il mit le dessin dans sa poche et suivit pas à pas les mots qui marchaient sur le tapis de neige.
• La nuit noire était devenue blanche et le vent qui le poussait lui murmurait des secrets.
• Derrière les murs d’un jardin figé par l’hiver, il fut attiré par des rires mélodieux et la langue étrange d’une musique joyeuse.
• Il poussa timidement la porte du jardin qui s’illumina comme un sapin un soir de Noël.
• Autour du feu, tous les voisins, toutes les voisines. Des enfants riaient, des couples dansaient, des gens chantaient, et…
• … l’inconnue lui prit la main.. Les flocons s’étaient changés en étoiles - Dans la poche de son manteau, il sentit la chaleur du dessin.
Voici ici les fenêtres illuminées qui racontent au bout du conte une seule histoire. Merci Noémie Letu et Alex Tran pour les images (ce n'est pas facile de prendre en photo les phrases illuminées.)